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Chroniques
Antonio Vivaldi
Orlando finto pazzo | Roland devenu fou
Orlando finto pazzo, le premier opéra vénitien de Vivaldi, fut créé au Teatro Sant' Angelo à la fin de l'année 1714. Il est donc contemporain du premier oratorio du prêtre roux, Moyses Deus Pharaonis, et de la publication à Amsterdam de La Stravaganza, magnifique recueil de concerti. Dans le livret de l'enregistrement que lui consacre aujourd'hui le label Opus 111 dans le cadre de sa tant passionnante qu'excellente Edition Vivaldi, Frédéric Dalaméa replace avec clarté l'ouvrage dans le contexte de sa création, introduisant brillamment une écoute profitable. On y lira également avec intérêt les avis et interrogations du chef Alessandro De Marchi qui hésita avant de se lancer dans l'aventure de la direction de cette œuvre. Puis on goûtera les aléas des amours croisées d'une intrigue complexe où la ruse et le travestissement sont au rendez-vous.
En guise de Sinfonia d'ouverture, De Marchi et son Academia Montis Regalis ont choisi de donner le Concerto pour clavecin et cordes en ut majeur RV 112, dont la grande vivacité convient particulièrement bien au climat d'urgence et d'angoisse des divers stratagèmes qui pimentent l'argument. L'Andante central laisse la place à une respiration plus raffinée, délicatement introduite par le théorbe, installant un suspens surprenant, puis le Presto déchaîne une énergie délirante, dans un contraste terrible. Nous voici plongés dans cet Orlando à la fois rebondissant de mensonges et langoureux de soupirs amoureux. Tout au long de l'opéra, on appréciera l'intelligence dramatique et la cohérence musicale avec lesquelles De Marchi conduit cet enregistrement, proposant des couleurs savamment choisies dans une dynamique parfaite. Sa lecture pleine de tension sait roucouler lorsqu'il le faut, narguer si besoin est, s'attendrir et charmer.
Pour les voix, on demeure surpris quant à certains choix de distribution. En effet, le texte dit bien que le héros Orlando fait parler de lui depuis longtemps, que sa réputation a grandit au fur et à mesure qu'il a pris de l'âge, etc. ; de fait, cette partie est écrite pour une basse. Cependant, Antonio Abete ne paraît pas le chanteur idéal pour incarner le rôle-titre. Sa prestation, qu'il colore exagérément d'un caractère convenant mieux à un barbon de farce qu'à un grand guerrier aux tempes blanchies, n'est pas toujours juste, change de place pour une émission inégale, confondant souvent détimbrer et nuancer, pour un chant en général autant instable que maniéré. Les choses commencent à aller mieux vers la fin, comme dans l'air Non paventa giammai le cadute, par exemple, sans que ce soit pleinement satisfaisant. En revanche, Brandimarte est Marianna Pizzolato, donnant des récitatifs d'une précision absolue dans une belle égalité de timbre ; Gemma Bertagnolli est une Ersilla très sonore offrant un chant tout à fait excitant d'une riche expressivité, mordant dans les récitatifs, brillant pour les airs, avec des da capo magnifiquement ornés ; on citera avantageusement La speranza verdeggiando, en fin de premier acte, délirante jubilation tant ornée que le texte en devient une suite d'onomatopée dans une réalisation exceptionnelle qui rend le personnage littéralement hystérique, comme il se doit. La chanteuse sait tout autant persifler quand la scène le demande, comme dans Non ti lagnar di me au deuxième acte, affirmant des vocalises d'une souplesse exquise, que nous émouvoir dans Tutta duol, tutta orror, pour finir – ce que j'appellerai l'air de la ruine, s'achevant dans un cri extrêmement comique.
Indéniablement, c'est le contralto Sonia Prina dans le rôle d'Origille qui retiendra l'attention. Avec un timbre attachant et présent dès les premiers mots, une expressivité inventive, une vraie présence, cette artiste s'impose avec superbe, comme dans l'air (sans da capo) Sentire che nel sen de l'Acte I qu'elle interprète avec fluidité, sans excès, dans un climat tendu et une couleur chaleureuse dont le mariage crée un équilibre splendide. Elle s'avère si géniale dans Anderò, volerò, griderò qu'on l'on se prend d'envie de l'applaudir !
On appréciera également les beaux phrasés de Marina Comparato en Tigrinda, dotés d'une ornementation agile qui ose prendre de vrais risques. L'Argillano de Manuela Custer est moins convainquant ; si le grave est plutôt intéressant, l'art de l'ornement indéniable, les changements de place selon la hauteur nuisent à l'égalité du timbre, à tel point qu'on parvient mal à en saisir la réelle personnalité. Enfin, si Martin Oro possède une voix puissante pour un contreténor, les aigus sont poussés et donc systématiquement faux, et l'on souffre de l'instabilité évidente de ses trilles.
Quoi qu'il en soit, cette Première est une bénédiction, et l'on n'en attend qu'avec plus d'excitation la suite de la publication intégrale au disque des opéras de Vivaldi.
BB